Le mirage du Machine Learning quantique pour l’entreprise
L’ordinateur quantique, une vraie révolution
Le plan Stratégique 2020 a mis les voiles vers un nouveau cap stratégique pour la France sur le calcul quantique. On pense évidemment aux gains substantiels que pourrait tirer l’IA des progrès en quantum computing. Finis les problèmes d’optima locaux, les temps de calculs exponentiels, les performances d’algorithmes trop justes et les problèmes sur les données… En réalité il n’en est rien ! Au regard des investissements nécessaires à l’utilisation du Machine Learning Quantique, l’ordinateur quantique n’apporterait que trop peu aux entreprises s’il était disponible aujourd’hui.
L’ordinateur quantique serait une vraie révolution en termes de capacité de traitement. En effet, au lieu d’utiliser des bits qui n’encode qu’un état sur deux, il utilise la superposition du Qubit capable de deux états probables : il peut être à la fois 0 et 1 et encode donc 2 informations. A cela s’ajoutent les propriétés d’intrication quantique qui permet de lier des Qubits entre eux et ainsi paralléliser de fait le calcul.
Ainsi, lorsque l’on lie n Qubits entre eux, l’information encodée équivaut à bits classiques. Cette escalade exponentielle permet d’encoder et de traiter une quantité bien plus importante d’informations et, en ce sens, de potentiellement résoudre les problèmes les plus complexes de notre monde. De la simulation d’environnements micromoléculaires à la cryptographie, en passant par tous les secteurs d’application, le calculateur quantique est en passe d’apporter des solutions plus optimales à nos processus actuels et même d’adresser des problèmes jusqu’ici insolvables.
L’application la plus connue de l’Ordinateur Quantique est l’algorithme de Shor développée en 1994. Il permet de factoriser en nombres premiers de très grands nombres. Cette technique utilisée pour décoder des messages cryptés (RSA) est assez rapide pour les petites valeurs (jusqu’au million ou au milliard) avec les algorithmes et les ordinateurs actuels mais au-delà, lorsque les nombres ont plusieurs centaines de chiffres, la décomposition nécessite en moyenne plusieurs centaines ou milliers d’années de calcul alors qu’il prendrait quelques minutes avec un ordinateur quantique. La découverte de Shor est l’une des motivations principales pour construire un ordinateur quantique.
Le Machine Learning quantique et ses limites
Cette découverte a suscité un réel engouement pour l’ordinateur quantique et toutes les spécialités ont voulu tirer parti de cette nouvelle puissance de calcul annoncée. Parmi les technologies bénéficiaires de l’introduction du calculateur quantique, l’Intelligence Artificielle fait évidemment partie des prétendants. Consommatrice de ressources de calcul et de mémoire et soumise à beaucoup de limitations computationnelles, l’IA pourrait prendre une nouvelle dimension grâce au calcul quantique. D’autant plus que les chercheurs ont réussi à mettre au point des algorithmes de Machine Learning, similaires à leurs homologues classiques, fonctionnant sur des calculateurs quantiques.
Il faut cependant être en mesure d’évaluer l’apport de l’ordinateur quantique sur les algorithmes de Machine Learning en comparant leurs performances en termes de complexité sur les deux infrastructures mais aussi sur les deux types de données classiques ou quantiques sous forme de Qubit.
Le schéma ci-dessous représente les différentes combinaisons de calcul classiques et quantiques : infrastructures de calcul/algorithme, données classiques (bit) ou quantiques (Qubit).
Trois combinaisons sont donc possibles :
- ML : le Machine Learning que nous connaissons sur des ordinateurs classiques et des données classiques
- QML : le Quantum Machine Learning se réfère à l’apprentissage machine sur des données quantique réalisable soit sur un ordinateur quantique soit sur un ordinateur classique
- QEML : le Quantum-Enhanced Machine Learning associé à l’utilisation d’algorithmes quantiques du Machine Learning sur pour l’analyse de données classiques
A l’évidence, le QML concerne essentiellement des données à l’échelle quantique et pourrait apporter des réponses à des problèmes complexes spécifiques en chimie, santé, physique ou encore spatial. Quant au QEML, il pourrait bel et bien résoudre les limites recensées jusqu’alors par le Machine Learning classique : réduction des temps d’optimisation, accès à des optima globaux, maximisation des métriques algorithmiques et suppression de la fameuse « Malédiction de la dimensionalité ».
Le tableau ci-dessous nous donne la complexité comparée des algorithmes de ML en environnement classique et quantique avec leurs spécificités ou les hypothèses et prérequis permettant d’obtenir cette complexité.
Complexité des algorithmes quantiques sous réserve d’hypothèses
L’évaluation de la complexité de ces mêmes algorithmes sur un ordinateur quantique sur des données classiques (QEML) donne, pour les meilleurs, une accélération de l’ordre de N² – log(N). Néanmoins cette accélération est soumise à de nombreux avertissements ou prérequis(*) qui limitent l’applicabilité des méthodes[1]. Pour les autres, la complexité atteinte est de l’ordre de uniquement encore sous réserve de respect d’hypothèses fortes, dont le respect des contraintes mathématiques de type HHL (Matrice diagonalisée, transformation en amplitude complexe, contraintes sur les valeurs propres …) et la disposition d’une mémoire RAM Quantique (non disponible actuellement) ou de données quantiques inexistantes dans le monde réel ou de l’entreprise, qui rendent leur application pratiquement impossible.
Au-delà du cadre restreint dans lequel pourrait fonctionner ces algorithmes, leur performance intrinsèque surperforment leurs homologues classiques en moyenne de 1%[2]. Gain acceptable pour des usages où N est extrêmement grand mais négligeable pour nos utilisations courantes.
Les algorithmes de ML Quantique ont donc un réel potentiel d’accélération mais leur cadre trop contraint d’utilisation voire même purement théorique les restreint à des usages anecdotiques qui au global ne permet pas de surclasser les modèles de ML classiques pour des uses cases communs.
Recommandation AI Builders Research
L’avènement de l’ordinateur quantique sera une révolution pour bon nombre de secteurs d’activité. Il n’en sera rien pour l’IA et le Machine Learning où ces applications sont extrêmement réduites du fait des contraintes d’utilisation des algorithmes de ML Quantique. Malgré une réelle accélération, il faudra mettre en regard le cout d’utilisation de ces nouveaux calculateurs qui limitera la rentabilité de ces calculs à des utilisations extrêmement spécifiques et interdira leur utilisation pour la majorité des uses cases de l’entreprise.
Les entreprises n’ont donc rien à attendre de l’ordinateur quantique pour leurs applications de Machine Learning. Les ordinateurs classiques sont et resteront les meilleures plateformes de calcul du Machine Learning.
Stéphane Roder, CEO AI Builders
Loris Millet, consultant AI Builders Research
Pour en savoir plus :
De plus, les avancées de la recherche ont déjà permis de supplanter les algorithmes QEML avec des algorithmes de ML classique. C’est notamment le cas de l’algorithme Quantic K-Means[3] ou le système quantique de recommandations[4] dont les performances se sont fait supplanter par de nouvelles méthodes d’optimisation classique.
Pour couronner le tout, si les algorithmes quantiques représentaient initialement un espoir pour l’abolition de la « Malédiction de la dimensionnalité », en réalité les efforts de recherche restent vains à ce niveau. Comme le montre le schéma ci-dessous, les chercheurs de Google ont utilisé des noyaux quantiques pour tenter de prouver l’efficacité du QEML sur des données à géométrie variable. Il en résulte que l’algorithme de Machine Learning classique (en vert) reste quantitativement plus profitable sur le plan informatique que le noyau quantique[5]. Seule avancée persistante : l’introduction de noyaux quantiques projetés semblent plus performants que les modèles de ML classiques, mais « ils ne constituent aucun cas pratique » à l’heure actuelle, puisqu’il n’y a pas de telles données quantiques en entreprises.
Performances des algorithmes sur des données à géométrie variable (petite, modérée et large), Google Research
[1] Quantum Machine Learning, J. Biamonte et al. 2018
[2] Q-means : A quantum algorithm for unsupervised machine learning, Kerenidis et al. 2021
[3] Quantum Machine Learning Algorithms : Read the Fine Print, S. Aaronson. 2021
[4] A quantum-inspired classical algorithm for recommendation systems, E. Tang. 2019
[5] Power of data in quantum machine learning, Huang et al. 2021